Voilà un jeu qui aurait pu se contenter de prendre l’art comme enrobage thématique, mais ce n’est pas le cas. Il explore véritablement le concept d’art, en nous mettant parfois à la place de l’artiste peintre et d’autres fois en métaphorisant les mécaniques de jeu pour véhiculer une expérience esthétique. C’est tout à son honneur ! Please, Touch the Artwork contient trois « expositions », trois volets dans lesquels est présenté un style abstrait de peinture où l’on doit reconstituer une toile incomplète en suivant des règles qui contraignent l’application de couleurs et le tracé de lignes. L’abstraction des peintures va de pair avec celle des mécaniques de jeu, notamment durant l’exposition « New York », où l’on est amené à naviguer à la manière de Pac-Man sur des traits de pinceau formant un espace labyrinthique. Cette exposition est d’ailleurs la plus réussie des trois. L’objectif est de récupérer dans le labyrinthe les lettres de vers d’un poème à propos de l’expérience d’arriver dans une grande ville et d’entretenir ainsi une relation à distance. La juxtaposition des lignes évoque un gigantesque réseau urbain qui se transforme jusqu’à nous engloutir ou presque. Chaque « toile » crée un espace dans lequel se perdre, servant d’appui aux vers et renforçant l’expressivité du poème.

Malheureusement, les expositions sont inégales en ce sens que le lien entre l’art et le jeu n’est pas toujours noué étroitement, en particulier lorsqu’une toile prend la forme d’un puzzle à résoudre et que l’on doit trouver la réponse au problème posé par le designer. En offrant de la résistance, en ponctuant notre « visite au musée » de difficultés, il semble que le jeu incarne une contradiction qu’il promet pourtant d’abolir. Après tout, le plaisir de voir de l’art, c’est celui de laisser libre cours à l’imagination et à la contemplation, c’est s’arrêter devant une toile et repartir quand bon nous semble. D’avoir la bonne réponse ou la bonne interprétation importe peu. Un jeu qui emprunte à l’art devrait alors se détacher des notions de succès et d’échec, libérer son public de tout impératif de performance. Si l’innovation artistique du jeu vidéo est de nous permettre de toucher l’œuvre, nous devrions pouvoir le faire avec un désintéressement total, sans conformité à un objectif prédéfini.

Reviewed on Oct 22, 2023


Comments