Bio
Je suis chargé de cours en jeu vidéo à l'UdeM et à l'UQAT. Ma thèse de doctorat propose d'examiner l'éthique des jeux vidéo à partir de leur expérience émotionnelle. J'ai publié un peu partout sur ce sujet et d'autres connexes, comme les relations entre le jeu vidéo et le cinéma, l'esthétique, l'immersion, etc. J'ai cofondé une baladodiffusion (Profil ludique) centrée sur le genre du walking sim.
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En fin de vie, Sir Brante est attablé pour écrire ses mémoires. Il se bute à une question philosophique : qu’est-ce qui détermine la vie d’un être humain ? À moi de répondre à même le livre : l’individu lui-même, le monde qui l’entoure, une force supérieure ou le hasard. La page suivante décrit la naissance de Brante et celles d’après font état de son parcours de vie, de l’enfance à la vie adulte, les chapitres étant divisés selon les moments fatidiques dans lesquels je peux intervenir à sa place. Le ton est donné : c’est l’individu, moi, le joueur, qui exerce des choix et va façonner la vie de Brante. Je prends des décisions, développe les traits de personnalité du personnage, déverrouille des conditions à des choix futurs, ouvre le champ des possibles jusqu’à tout se retourne contre moi. Brante évolue dans un monde brutal, violent, impitoyable. Je dois naviguer à travers les valeurs divergentes de chaque membre de sa famille, la scission qui s’opère au sein de la société, les machinations politiques et plus encore. J’ai voulu jouer un Brante toute en nuance, à la fois en recherche de vérités théologiques et loyal envers les êtres les plus authentiques et bienveillants. Mais ma partie s’est terminée en bain de sang. Une fin horrible, éradiquant tout ce que j’avais essayé de mettre en place dans le monde. Qu’est-ce qui détermine la vie d’un être humain, donc ? J’ai changé d’idée.

Voilà un jeu qui aurait pu se contenter de prendre l’art comme enrobage thématique, mais ce n’est pas le cas. Il explore véritablement le concept d’art, en nous mettant parfois à la place de l’artiste peintre et d’autres fois en métaphorisant les mécaniques de jeu pour véhiculer une expérience esthétique. C’est tout à son honneur ! Please, Touch the Artwork contient trois « expositions », trois volets dans lesquels est présenté un style abstrait de peinture où l’on doit reconstituer une toile incomplète en suivant des règles qui contraignent l’application de couleurs et le tracé de lignes. L’abstraction des peintures va de pair avec celle des mécaniques de jeu, notamment durant l’exposition « New York », où l’on est amené à naviguer à la manière de Pac-Man sur des traits de pinceau formant un espace labyrinthique. Cette exposition est d’ailleurs la plus réussie des trois. L’objectif est de récupérer dans le labyrinthe les lettres de vers d’un poème à propos de l’expérience d’arriver dans une grande ville et d’entretenir ainsi une relation à distance. La juxtaposition des lignes évoque un gigantesque réseau urbain qui se transforme jusqu’à nous engloutir ou presque. Chaque « toile » crée un espace dans lequel se perdre, servant d’appui aux vers et renforçant l’expressivité du poème.

Malheureusement, les expositions sont inégales en ce sens que le lien entre l’art et le jeu n’est pas toujours noué étroitement, en particulier lorsqu’une toile prend la forme d’un puzzle à résoudre et que l’on doit trouver la réponse au problème posé par le designer. En offrant de la résistance, en ponctuant notre « visite au musée » de difficultés, il semble que le jeu incarne une contradiction qu’il promet pourtant d’abolir. Après tout, le plaisir de voir de l’art, c’est celui de laisser libre cours à l’imagination et à la contemplation, c’est s’arrêter devant une toile et repartir quand bon nous semble. D’avoir la bonne réponse ou la bonne interprétation importe peu. Un jeu qui emprunte à l’art devrait alors se détacher des notions de succès et d’échec, libérer son public de tout impératif de performance. Si l’innovation artistique du jeu vidéo est de nous permettre de toucher l’œuvre, nous devrions pouvoir le faire avec un désintéressement total, sans conformité à un objectif prédéfini.

Si mon souvenir est bon, Sébastien Genvo affirmait dans l’une de ses vidéos YouTube que le plaisir de jouer à Mario Bros. (Nintendo, 1985) comportait plusieurs affinités avec celui vécu devant les premiers films de course-poursuite, au début du 20e siècle. De voir un corps doté d’une mobilité décuplée se heurter à toute sorte de surfaces sans jamais se blesser véritablement, même après avoir reçu un pot de fleurs tombé du 3e étage sur la tête ou être atterri sur les épines d’un spiny, transgresse les lois de la physique et bouleverse l’imaginaire. Le personnage exprime brièvement sa douleur avant de recommencer à gesticuler dans tous les sens, comme si rien ne s’était passé. Pizza Tower (Tour de Pizza, 2023), c’est un film de course-poursuite ou jeu de Mario sur les stéroïdes pour chevaux (si telle chose existe). Il incarne l’esprit du burlesque et des cartoons dans son idée la plus fondamentale.
Peppino Spaghetti, restaurateur d'une pizzéria et probablement le cousin éloigné de Mario, est capable de contorsions des plus spectaculaires, s’étirant comme un élastique, s’écrasant comme une éponge et rebondissant comme une balle de caoutchouc à travers les couloirs serpentins du jeu. Peppino reçoit des coups, des décharges électriques et des brûlures sans jamais se désintégrer — sa « mort » est par ailleurs un fait rare, les conditions d’échec étant appliquées seulement dans des circonstances particulières, notamment durant l’affrontement d’un boss. Ses courses atteignent la vitesse de pointe de Sonic le hérisson et finissent par une collision inévitable dans un mur apparaissant tout d’un coup, où Peppino est écrabouillé tel un moustique dans le pare-brise d’une voiture traversant le parc Lavérendrye. La comparaison aux cartoons est d’autant plus juste si l’on considère les écrans de chargement, de score et de multiplicateur de points, qui mettent en vedette Peppino dans une splendeur digne de certains gros plans que dessinait John Kricfalusi, créateur de Ren & Stimpy (1991-95). Bien qu’on ne tombe pas dans la représentation répugnante du détail corporel, où chaque poil, veine et sécrétion saute au visage, on donne au personnage une charmante laideur qui correspond tout à fait au caractère grotesque qu’est celui de plaquer des pointes de pizza anthropomorphisées et des poulets rôtis coiffés de sombrero à la manière d’un joueur de football américain. Le rythme frénétique de l’action laisse transparaître sur le visage de Peppino une panoplie d’émotions, de l’anxiété au rire maniaque, qui résonnent bien avec ce que nous vivons durant l’expérience de jeu et dévoilent le rapport compliqué que nous entretenons avec notre propre corps.