Inutile de donner une voix ou de grands yeux à un objet inerte pour l’anthropomorphiser. FAR: Lone Sails l’a compris. Unique au monde, un enfant part en expédition dans une contrée dévastée. Son seul allié s’avère un monstre mécanique, un navire sur roues muni de soupapes, d’engrenages et de leviers, qui déplace sa lourde charpente péniblement. Il demande à être nourri constamment d’essence pour se mouvoir de gauche à droite, comme un train à la vapeur avide de charbon. Ses mécanismes sont dispersés dans ses entrailles, des organes aux fonctions propres. Le véhicule n’est pas sous notre contrôle direct, une simple extension de notre volonté, telle l’automobile contemporaine. Nous devons sans cesse agiter le petit personnage pour traverser la coque du vaisseau afin d’éteindre les feux, distribuer le carburant et reprendre les commandes. Lorsque le navire acquiert sa vitesse de pointe, qu’il devient une bête fonçant à toute allure dans l’obscurité de la nuit, nous ne pouvons que remettre notre confiance en lui, en sa capacité de nous porter dans ces territoires hostiles, quitte à sortir de son ventre pour examiner les dégâts suivant une collision, puis les réparer avant de poursuivre le voyage.
Inutile de laisser apercevoir l’expression d’un visage pour susciter une émotion. FAR: Lone Sails le prouve bien : l’attachement est une activité. Elle se déploie à la manière du jardinier penché sur ses plantes, lorsque nous prenons soin des choses qui nous entourent. La machine a besoin d’attentions pour fonctionner. Nous pouvons compter sur elle à condition de bien l’entretenir. Dans cette relation d’interdépendance, nous développons de l’affection pour ce qui se résume en fait à une structure de fer. Nous nous inquiétons alors quand la créature s’échappe du cadre de la caméra, dévalant une pente pendant que nous traînons à l’extérieur à la recherche de carburant, et nous réjouissons de la retrouver indemne, prête à se remettre en marche. Car il faut d’abord donner de nous-mêmes, insuffler un peu de vie au monde, pour que s’ouvre par la suite la gamme des émotions.

Reviewed on Jun 10, 2023


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