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in the past


- Tout d'abord j'ai un rapport particulier avec la série "Syberia". Je la connais de réputation depuis tout petit mais je n'y au joué qu'au Canada en 2015. Cette série a scellé mon amitié avec le Bro (au côte du couscous fassi mais là n'est pas le sujet), ce qui en fait une expérience toute particulière et nostalgique pour ma part.

- Ainsi, ce 4eme opus (après un 3eme absolument dégueulasse #touktouk) ne pouvait être fait qu'avec le Bro. Comme syberia 1 et 2 (sortis en 2002 et 2004) sont des jeux de son enfance, la nostalgie fut d'autant plus forte pour lui. Mon premier plaisir fut déjà là : voir le Bro kiffer sa race avec des yeux émerveillés en parcourant ce nouvel opus nous dépaignant l'univers si charmant de Benoît Sokal.

- Autre point important : Sokal est mort au cours du développement. Ce qui donne un goût spécial à cette œuvre testament, dont la thématique du deuil excède l'espace du simple jeu.

- Ceci étant dit, qu'en est-il du jeu en lui-même ? Déjà la 1ere chose qui saute aux yeux est le gap technique et esthétique entre le 3 (sorti en 2017 mais qui a 20 ans de retard) et cet épisode. Le jeu est magnifique (notamment les decors), la DA sublime et le travail sur la lumière est incroyable. Certes on a connu mieux en terme d'animation des persos (faciale surtout) ou de texture mais ce n'est pas un AAA et ça n'enlaidit pas du tout le cadre global du jeu. En réalité c'est une prouesse vu le faible budget du titre.

- La contrepartie de cette beauté (rare pour un jeu AA) se révèle à travers les zones qui sont plutôt petites. Il y a certes une variété de décors, ce qui est appréciable, mais chaque décor est limité au sein d'un périmètre extrêmement restreint. On est loin des 2 premiers (ou de n'importe quel type de point&click, genre Monkey Island) où les énigmes se résolvaient sur de vastes espaces. Là nous sommes extrêmement cadenacé, mais cela permet à chaque zone d'être bien plus travaillée et solide techniquement. Par ailleurs cela a un sens du point de vue du game design, nous y reviendrons.

- La musique, comme celles de tous les épisodes (même le 3), est incroyable et procure de multiples frissons. Cela nous baigne dans une ambiance particulière, très nostalgique et crépusculaire.

- La mise en scene est extrêmement bien travaillée. C'est un énorme point fort du jeu. Dans les cinematiques tout est fait pour éviter les champs/contre-champs, chaque plan est esthétisé et signifiant. Il y a de réelles moments de grâce, notamment lors des phases de piano (Dana au début, Kate au milieu, Dana et Kate a la fin).

- Même dans les séquences de gameplay, la mise en scene est élaborée. Déjà le jeu alterne parfois les phases normales à la 3eme personne avec des phases à la 1ere personne (avec Oscar ou lorsque l'on contrôle la petite avec la caméra). Mais aussi quand on marche, le jeu varie les plans de camera afin de rendre nos moments d'enquête plus dynamique. Ce dernier point peut désorienter : certes c'est sympa en terme de mise en scène mais niveau controle c'est un peu gênant lors de nos déplacements.

- On voit là se dessiner l'ambition du titre... qui ne se situe pas dans la qualité du gameplay. Le jeu est beau et bien mis en scene, mais au détriment de vastes zone permettant des énigmes de grandes ampleur ou du confort dans nos déplacements.

- Pour aller plus loin dans ce sens, les énigmes du jeu sont simples et peu élaborées. Certaines sont sympas (1ere séquence dans le chalet ou celle de la place musicale) mais il n'y a pas de grand moment de satisfaction quand on en résoud (et certains passages sont vraiment bof, comme le cimetière). Cette simplicité est accentuée par un système d'indice que l'on peu utiliser à tout moment (peu utile vu que les énigmes sont simples).

- Tout est donc fait pour éviter les frictions. C'est un jeu narratif et on doit avancer tranquillement sans se prendre la tête. L'expérience doit être la plus agréable et simple possible (on évite ainsi les sequences de recherche interminables sur plusieurs grandes zones). Cette accessibilité est vrai au niveau des énigmes mais aussi de l'interface, des aides ou encore des déplacements (sur ce point il y a encore des problèmes comme on l'a dit, et Kate Walker continue à galèrer avec les escaliers mais cela reste bien plus agréables que dans les autres épisodes).

- Le gameplay est donc un support de la narration. Par exemple les changements de personnages permettent de varier la mise en scene ou de rythmer l'aventure. Quelques séquences sont notables, notamment lorsque l'on se fait attaquer par les gorons et qu'on doit les chercher dans un moment de stress. Ou encore lorsque l'on donne un biscuit au petit goron et qu'on doit reculer. Il y a plein de petites idées comme cela, peu intéressantes du point de vue de la performance à réaliser, mais qui servent pertinemment la narration.

- Par ailleurs le lore se transmet par la recherche d'éléments dans le décors. On peut totalement passé à côté de certains trucs mais ce serait dommage (le singe Che Guevarra par exemple !!!). On a là une narration purement vidéoludique qui peut parfois devancer subtilement certaines révélations explicitées par les dialogues.

- Bref le jeu est presque un visual novel, tant le gameplay n'apporte aucune contrariété au joueur et se trouve plutôt au service de la narration. Mais alors, que vaut l'histoire de ce Syberia ?

- Ce qui est excellent ici c'est la qualité globale de l'écriture. Les personnages sont profonds et crédibles. Cela rend leurs differentes interactions intéressantes et porteuses d'émotions.

- Le vide intérieur de certains persos est palpable (Kate et Dana en premier lieu, ou meme la meuf qui a perdu ses jambes). Ils ont vraiment des grosses vie de merde où elles ont tout perdu. Il ne leur reste rien et c'est juste horrible.

- Kate a quitté sa vie à NY pour faire tout son périple mais à perdu les amis qu'elle s'est faite en chemin (sauf ce bon vieux Oscar). Aux USA, Olivia (la p***) baise son mec et sa mère est morte... Désormais le seul truc qui l'anime c'est d'enquêter sur la vie d'une meuf née il y a 80 ans car elle l'a vue photo... Bref faut le dire, sa vie n'a que peu de sens. C'est pourquoi elle est dans une fuite perpétuelle, se rattachant à la moindre opportunité d'aventure, masquant ainsi son propre vide.

- La vie de Dana est bien pire ! L'ensemble des émotions qui se forgent au cours de son histoire ne sont pas originales (trahison, deuil, mensonge, culpabilité etc.) mais cela fonctionne de ouf. On frissonne, on a envie de pleurer, c'est terrible !

- L'ensemble est bien narré, à coup de flashback (où l'on prend le contrôle d'autres protagonistes, certains inattendus comme la scène dans l'Himalaya) et où tous les éléments sont amenés subtilement, ce qui fait qu'aucun twist ne sort de nul part (et souvent se prédit quelques minutes avant le moment de la révélation).

- Si vous voulez une histoire à twist vous allez donc être servis, notamment dans le dernier tiers où cela ne s'arrête plus (le coup du goron dans le chalet, truc de ouf mdr). Jusqu'au final exceptionnel, profondément triste mais riche de sens (séquence du piano à 4 mains 😢)

- Les thématiques sur le nazisme sont intéressantes et renvoient forcément à notre époque (Bardella, Palestine etc.). Le traitement reste cependant plutôt classique.

- Bref l'histoire est fluide, bien rythmé, tient en haleine le joueur, procure des émotions fortes et met en scene des êtres dont le vide les ronge. Ce vide béant renvoie bien entendu à la mort de Sokal, dont il nous faire le deuil (de la même façon que les personnages du jeu sont amenés à faire le leur).

- C'est là que la toute fin peut poser problème ! Là où le retour à NY aurait permis à Kate d'accepter son vide et faire ainsi son deuil, elle décide dans un ultime retournement de repartir à l'aventure, masquant encore une fois son propre gouffre existentiel. On a donc une fin porteuse d'espoir mais qui évince le propos et la profondeur de l'œuvre dans ses derniers instants.

- Par ailleurs, le jeu ne va pas laisser de trace en moi. Ce n'est pas une oeuvre marquante. Pourtant ce Syberia est excellent, tout est bien fini, rythmé, haletant, etc. Mais justement, n'est-il pas trop calibré ? Il passe bien, comme un produit de consommation que l'on ingère avant de passer à la suite. Les grandes œuvres, celles qui laissent des traces, ne doivent-elles pas être plus rugeuses ? (Xenogears serait-il aussi marquant sans son 2eme cd qui prend la forme d'un cristal brisé ?). Toute la perfection narrative du jeu, sa mise en scene, ses émotions, son propos, ses personnages complexes, tout cela n'arrive pas à toucher profondément l'âme car cela s'insère au sein d'un schéma dont la mecanique est trop bien huilée, plaisante, divertissante.

- Ce qui fait la force du 1er Syberia c'est sa structure originale : on enquête sur Hans que l'on ne voit pas de toute l'aventure et dont on retrace la vie à partir des inventions qu'il a laissé derrière lui. Cela créé du mystère et entoure Hans d'une certaine aura quasi-mystique. Certes ce schéma est plus difficile d'accès, demande des efforts d'imagination et allourdit le rythme de l'aventure. Mais cela nous plonge de manière plus singulière dans ce que fut l'existence de Hans.

- Dans Syberia 4, toute la vie de Dana nous est montrée. Cela permet de gagner en rythme et en émotion, mais on perd quelque chose d'essentiel et de singulier. Quelque chose d'impalpable susceptible de laisser une trace en nous.

- Certes on retrouve les inventions d'Hans mais ce n'est pas le cœur du jeu. C'est un contexte sympathique, sans plus (on peut même dire que c'est du fan service, mais bref).


Conclusion : Excellent jeu, qui compte très peu de défauts objectifs. Il y a de petits problèmes dans le déplacement des persos mais le reste des concessions (au niveau de la facilité des énigmes notament) permettent une narration maîtrisée et rythmée, dont l'histoire est touchante et portée par toute une galerie de personnages crédibles. Cependant cette excellence, à cause d'un calibrage trop dirigé vers le grand public, empêche à l'œuvre de se transcender et ainsi de marquer véritablement son medium... Comme ce fut le cas pour le premier Syberia !