Si mon souvenir est bon, Sébastien Genvo affirmait dans l’une de ses vidéos YouTube que le plaisir de jouer à Mario Bros. (Nintendo, 1985) comportait plusieurs affinités avec celui vécu devant les premiers films de course-poursuite, au début du 20e siècle. De voir un corps doté d’une mobilité décuplée se heurter à toute sorte de surfaces sans jamais se blesser véritablement, même après avoir reçu un pot de fleurs tombé du 3e étage sur la tête ou être atterri sur les épines d’un spiny, transgresse les lois de la physique et bouleverse l’imaginaire. Le personnage exprime brièvement sa douleur avant de recommencer à gesticuler dans tous les sens, comme si rien ne s’était passé. Pizza Tower (Tour de Pizza, 2023), c’est un film de course-poursuite ou jeu de Mario sur les stéroïdes pour chevaux (si telle chose existe). Il incarne l’esprit du burlesque et des cartoons dans son idée la plus fondamentale.
Peppino Spaghetti, restaurateur d'une pizzéria et probablement le cousin éloigné de Mario, est capable de contorsions des plus spectaculaires, s’étirant comme un élastique, s’écrasant comme une éponge et rebondissant comme une balle de caoutchouc à travers les couloirs serpentins du jeu. Peppino reçoit des coups, des décharges électriques et des brûlures sans jamais se désintégrer — sa « mort » est par ailleurs un fait rare, les conditions d’échec étant appliquées seulement dans des circonstances particulières, notamment durant l’affrontement d’un boss. Ses courses atteignent la vitesse de pointe de Sonic le hérisson et finissent par une collision inévitable dans un mur apparaissant tout d’un coup, où Peppino est écrabouillé tel un moustique dans le pare-brise d’une voiture traversant le parc Lavérendrye. La comparaison aux cartoons est d’autant plus juste si l’on considère les écrans de chargement, de score et de multiplicateur de points, qui mettent en vedette Peppino dans une splendeur digne de certains gros plans que dessinait John Kricfalusi, créateur de Ren & Stimpy (1991-95). Bien qu’on ne tombe pas dans la représentation répugnante du détail corporel, où chaque poil, veine et sécrétion saute au visage, on donne au personnage une charmante laideur qui correspond tout à fait au caractère grotesque qu’est celui de plaquer des pointes de pizza anthropomorphisées et des poulets rôtis coiffés de sombrero à la manière d’un joueur de football américain. Le rythme frénétique de l’action laisse transparaître sur le visage de Peppino une panoplie d’émotions, de l’anxiété au rire maniaque, qui résonnent bien avec ce que nous vivons durant l’expérience de jeu et dévoilent le rapport compliqué que nous entretenons avec notre propre corps.

Reviewed on Sep 02, 2023


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